Yaak Valley, Montana - Smith Henderson #MRL16

Editions : Belfond

Traduit par Nathalie PERONNY

Date de parution : 18 août 2016

Prix papier : 23 € / Prix numérique : 15,99 €

578 pages

Dans les paysages grandioses du Montana des années 1980, l'histoire d'un homme en perdition confronté à ce que l'humanité a de pire et de meilleur. Héritier des grandes oeuvres de nature writing, un roman qui soulève les contradictions les plus violentes et dérangeantes d'une Amérique qui préfère ignorer ses marginaux. Portée par une écriture tour à tour sauvage, brutale et poétique, une révélation.
La première fois qu'il l'a vu, Pete a cru rêver. Des gosses paumés, il en croise constamment dans son job d'assistant social. Mais, tout de même, un enfant en pleine forêt, méfiant, en guenilles, l'air affamé... Pete s'accroche, laisse de la nourriture, des vêtements et finit par gagner la confiance du petit.
Suffisamment pour découvrir que le garçon n'est pas seul. Sa mère et ses frères et soeurs sont introuvables, il vit avec son père, Jeremiah Pearl, un fondamentaliste chrétien qui fuit la civilisation pour se préparer à l'Apocalypse et comploter contre un gouvernement corrompu et dépravé.
Petit à petit, entre Pete et Jeremiah s'installe une relation étrange.
; Pete de son côté est au bord de sombrer : son frère est recherché par la police ; son ex, alcoolique, collectionne les amants ; et, surtout, sa fille de quatorze ans a disparu quelque part le long de la route du Texas...
Deux hommes aux prises avec des démons qu'ils ne pourront plus faire taire très longtemps... 

Pourquoi ce choix de lecture ? Ce livre je l'ai obtenu grâce au match de la rentrée littéraire organisé par Priceminister. Au vu de la quatrième de couverture, ce livre m'intéressait,  c'était d'ailleurs mon premier choix. Et plus encore ça me donnait l'occasion de faire une excursion, bien trop rare d'ailleurs, dans la littérature contemporaine.

Yaak Valley, Montana, Fourth Of July Creek de son titre original, est un récit centré sur une tranche de vie de Pete Snow qui se passe début des années 80. Pete est assistant social, probablement un des meilleurs de son Etat.

Il prend son rôle auprès des enfants avec beaucoup d'engagement, plus que ce qu'il est attendu de son emploi. Il est véritablement touché par ces enfants nés dans la mauvaise famille et tente des replacements en famille d'accueil, sorte de réinsertion sociale infantile qui ne fonctionne malheureusement pas à tous les coups.

Pete cherche un épanouissement dans on travail, une satisfaction d'un acte bien accompli là où sa vie personnelle est un véritable échec. Père d'une ado de 14 ans, Pete est dépassé par son rôle de père, échec dont il est pleinement conscient. Comble du travailleur social, Pete a le schéma type des familles qu'il aide au quotidien.

Un couple explosé, qui s'est usé dans l'alcool et l'adultère, incapable de donner un cadre équilibré à leur fille, Pete va fuir le domicile familial à Tenmile bourgade minière du Montana et va vivre dans un chalet vétuste de montagne.

Au cours de son travail, il va faire la connaissance de Benjamin, jeune garçon paumé vivant avec sa famille dans les montagnes. Le mode de vie de cette famille intrigue Pete, d'autant qu'il n'a jamais vu la mère et le reste des enfants. Il ne rencontre jamais que Jeremiah Pearl et Ben, le père et le fils.

Dans le même temps, le frère de Pete file en cavale après avoir sévèrement cogné son contrôleur judiciaire. Contrôleur persuadé que Pete planque son frère. Et comme rien n'arrive jamais seul, sa fille de quatorze ans qui vit chez sa mère au Texas a fugué. Et Pete s'use aussi à retrouver sa fille.

Benjamin décollait des filaments de sève noirâtre de ses mains. « Ils vont venir nous tuer.
— Personne ne viendra vous…
— Ils ont tiré sur le président, Pete.
— Et ?
— Les services secrets sont le bras droit du Trésor américain. Ils ont deux missions : protéger la vie du président et l’intégrité du dollar. Et croyez-moi, la seconde est bien plus importante que la première. Ils savent tout sur moi, Pete.
— C’est un peu exagéré, vous ne croyez pas ?
— De toute évidence, non. » Pete coula un regard en direction de Benjamin, toujours occupé à gratter l’intérieur de sa paume. Une conversation parfaitement normale. « C’est non, déclara Pete. Je refuse d’être mêlé à ça.
— Vous le ferez, rétorqua Pearl sans interrompre son geste. Je le sais. Parce que vous ne voudriez pas qu’il nous arrive malheur. Surtout à lui. Vous le ferez parce que autrement vous ne nous reverrez plus jamais. Et vous le ferez parce que vous pensez pouvoir nous convaincre de quitter ces montagnes pour réintégrer votre belle société. Parce que vous êtes le bon visage des choses. Leur visage doux et bienveillant. »

Yaak Valley, Montana, c'est un roman qui dépeint une Amérique des années 80. La déchéance d'une contrée minière que l'on transpose facilement sur les difficultés rencontrées dans notre Nord français.

On ressent également avec force l'époque, une époque sans mobile et sans internet, où la recherche de personnes disparues se révélait être insurmontable, où l'expression chercher une aiguille dans une botte de foin n'a jamais eu autant de sens. Rechercher une adolescente qui n'a pas envie d'être retrouvée sur l'ensemble des USA... Pete va rechercher un soutien en s'engageant dans une relation sentimentale compliquée avec une collègue de travail d'une autre contrée, dans laquelle il va également se perdre.

TU CROULES DÉJÀ SOUS LES DOSSIERS mais ça ne fera qu’empirer à mesure que Noël approche pour tous les pauvres, les détraqués et les fous. Les gamins qui attendent dans le salon avec les flics ou assis dans la voiture de patrouille pour avoir moins froid le temps que tu viennes les chercher. Direction le foyer d’urgence de Kalispell. Pas assez de lits. Tu as vingt-quatre heures pour trouver un plan B. Heureusement, les offres d’hébergement d’urgence qui étaient si difficiles à trouver l’été se multiplient comme par magie dès Thanksgiving. Des gens bien intentionnés, pétris de remords à l’approche des fêtes. Mais comme d’habitude, les gens appellent pour des conneries. À quatre-vingt-quinze pour cent. Proprios en train de virer leurs locataires bruyants et alcooliques. Divorcés se disputant la garde des enfants pour le matin de Noël. Tu vas visiter le petit studio ou le mobile home ou la yourte pour t’assurer qu’il y a bien des Cheerios dans le placard, du jus de fruits au frigo, des couvertures, des vêtements chauds et des mitaines dans la penderie de l’entrée. Tu ignores le bang recouvert à la hâte d’un foulard et tu fais signer la charte d’engagement à la mégère aux dents tachées et à l’homuncule chauve qui lui sert de mari avant de t’en aller. Inutile de t’emmerder avec la paperasse car d’ici la mi-journée, tu auras trois nouveaux cas pour te faire oublier celui-ci.

Yaak Valley, Montana ; C'est la triste vie d'un assistant social qui n'a de cesse de se battre pour ne pas rester dans le fond, mais que le destin s'entête à lui maintenir la tête sous l'eau. Et on se demande, quelle est alors sa motivation de vivre. Alors, il s'accroche à son métier, il s'accroche en s'investissant plus que de raison dans son boulot, à des choix de vie singulière telle celle de Jeremiah Pearl. Finalement lorsqu'on touche le fond, le meilleur moyen de s'en sortir ne serait-il pas d'aller chercher des destinées plus écorchées que la sienne ?

J'ai passé avec Yaak Valley, Montana, une agréable lecture, une très belle et très difficile excursion dans le Nord américain des années 80 toutes en nuance de gris. À travers des destinées singulières et souvent démolies, Smith Henderson nous livre un roman de type "nature writing" qui nous plonge dans la misère des années 80, avec une plume aussi exquise qu'incisive.